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Exposition

Yucatan, Exposition d’Hanne Elf

Je veux que vous agissiez comme si votre maison brûlait. Parce que ça brûle. Les règles doivent changer, tout doit changer, aujourd’hui (Greta Thunberg). La seule chose réaliste est de changer les choses (Robert Habeck). La culture est un puissant allié dans la lutte pour le changement. La connaissance indique le chemin, l’art s’active (Olafur […]

Je veux que vous agissiez comme si votre maison brûlait. Parce que ça brûle. Les règles doivent changer, tout doit changer, aujourd’hui (Greta Thunberg).

La seule chose réaliste est de changer les choses (Robert Habeck).

La culture est un puissant allié dans la lutte pour le changement. La connaissance indique le chemin, l’art s’active (Olafur Eliasson / Minik Rosing).

L’art peut former les sens et ouvrir un espace à l’imagination, à ce qui peut être fait et à ce que l’avenir nous réserve (Joanna Nurmis).

Depuis de nombreuses années, le travail d’Hanne Elf s’est focalisé sur les origines de notre culture et de notre histoire. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait été fascinée par le projet International Ocean Discovery Program, qui réalise des forages en eau profonde dans le golfe du Mexique. Ils s’intéressent à un tournant majeur dans l’histoire de la Terre : Il y a 66 millions d’années, une météorite de 14 kilomètres de diamètre a frappé la région de l’actuelle péninsule mexicaine du Yucatan et du golfe adjacent. En seulement dix minutes, elle a déformé la surface de la Terre avec une force égale à l’énergie de millions de bombes à hydrogène. Elle s’est enfoncée des centaines de mètres dans la terre en formant un cratère de 180 km, le Chicxulub. L’impact a libéré un cocktail mortel de gaz dans l’atmosphère comme par exemple, le dioxyde de carbone propulsif, responsable de l’effet de serre. De même, le dioxyde de soufre, qui s’est déversé sous la forme d’une pluie acide sur la terre. La météorite a heurté des couches terrestres imprégnées de pétrole. Lors de l’impact, le corps céleste a pratiquement fait exploser un immense réservoir de pétrole brut, avec des conséquences catastrophiques pour la flore et la faune. Dans les environs de Chicxulub, toute vie terrestre et marine fut détruite, la zone pratiquement stérilisée. Les effets sur la planète entière ont été dramatiques : d’énormes feux de forêt ont eu lieu, des tremblements de terre massifs ont ébranlé les continents, de méga-tsunamis ont sévi. Autour de la terre, les océans ont été acidifiés. La poussière et la suie ont obscurci le ciel et il a fait extrêmement froid sur Terre pendant des décennies. Environ 75% des espèces présentes sur notre planète ont disparu. Les formes de vie qui dominaient l’écologie de la planète depuis des millions d’années ont pris fin. Les victimes les plus connues furent les dinosaures. Seuls les oiseaux ont survécu.

Ces événements constituent le fond de la nouvelle exposition d’Hanne Elf à la galerie Depardieu, mais sans que ses œuvres soient de sinistres illustrations de la catastrophe. Elles sont ambivalentes. D’une part, dans les peintures de la série Yucatan par exemple, on peut retrouver le feu et les explosions, mais colorées et gaies. Elles reflètent la richesse de la flore et de la faune qui bénit la péninsule du Yucatan d’aujourd’hui, avec ses forêts tropicales humides, ses orchidées, ses innombrables papillons et ses nombreux oiseaux colorés tels que les colibris, les motmots ou le Quetzal, l’oiseau des dieux. Les couleurs verte et rouge de cet oiseau se retrouvent dans de nombreux tableaux.

Quelques années après la catastrophe, une nouvelle vie est apparue et 30.000 ans plus tard, elle est revenue à de nouveaux sommets. C’était comme si la météorite avait appuyé sur le bouton « reset » (réinitialiser), orientant l’évolution dans une direction différente. Les mammifères qui étaient peu nombreux ont occupé les nombreuses niches écologiques devenues libres et une biodiversité jusque-là inaccessible s’est développée, qui est également à l’origine de l’homme.

Hanne Elf veut maintenir cette diversité. Elle crée de l’empathie pour la nature et l’environnement avec son travail. Elle fait appel à nos sentiments et à nos sens, elle rend la crise climatique palpable, l’inimaginable tangible.

Comme d’habitude chez cette artiste, les oeuvres se situent à l’intersection de la figuration et de l’abstraction. Nous voyons de la peinture pure à l’huile et l’acrylique qui célèbre la couleur et l’émotion. Nous voyons des mélanges et des combinaisons de peinture et de photographie, ainsi que des méthodes de travail analogique et numérique, comme une symbiose fructueuse. Par exemple, Hanne Elf a photographié les différentes étapes d’une peinture émergente, puis elle a édité et changé ces photos numériquement, puis elle les a imprimé et enfin redessiné avec des couleurs « réelles ». Ainsi, à partir d’une image initiale, de nouvelles images sont apparues, avec des déviations, des variations et de nouveaux développements, correspondant à l’émergence d’espèces animales et végétales après « l’heure zéro ».

Les oeuvres de la série « Chicxulub » montrent des modifications et des retouches des vues satellites du cratère actuel, qui est maintenant en grande partie recouvert d’eau. Sobres et réduites, elles dégagent un calme poétique et une certaine mélancolie. Comme si la douleur devenait visible par rapport aux pertes. Les signes extraterrestres et les chiffres les rendent mystérieux et mystiques.

Le point de départ de la série « Hell Creek » : des fossiles découverts ces dernières années dans une vallée du Dakota du Nord. Ils datent du moment de l’impact de la météorite. À travers un raz-de-marée, déclenché par cet impact, qui avait atteint cette zone une heure après, de nombreux êtres vivants ont été tués et préservés en quelques minutes. La sédimentation fut si rapide que tout est étonnamment bien conservé en trois dimensions. Les images des fossiles ont également été éditées numériquement et modifiées en couleur ou imprimées en noir et blanc comme les grandes photos de dinosaures, puis bariolées d’acrylique et d’huile. L’artiste les a recouverte de plusieurs couches de peinture, ainsi, on ne voit que des parties squelettiques. Il semble qu’ils aient été enterrés à nouveau et qu’ils aient retrouvé leur paix.

Plusieurs oeuvres contiennent des glyphes et des chiffres, des signes significatifs, énigmatiques et magiques de la culture Maya, centrée sur le Yucatan. Une culture qui peut être considérée comme le prototype d’une société qui a provoqué sa propre chute à cause des conflits armés et de la destruction de son espace vital.

En ce sens, le Yucatan n’est pas seulement une péninsule bien réelle, mais c’est aussi une métaphore qui signifie : destruction de l’environnement, changement climatique et perte de biodiversité. La science nous dit que nous sommes en train de procéder à des extinctions massives, comme le Conseil mondial pour la biodiversité (IPBES) l’a confirmé dans son Rapport mondial sur l’état de la nature à Paris. Et qu’il ne reste que peu de temps pour y remédier. Ce serait encore possible, bien que très limité. Car la catastrophe naturelle d’aujourd’hui, l’âge de l’Anthropocène, s’appelle l’homme.

Et pourtant, nous pouvons empêcher la destruction définitive de la terre et ne pas subir le même sort que les dinosaures et les Mayas.

C’est ce que cette exposition veut nous dire. L’artiste nous invite à des expériences émotionnelles et sensuelles qui peuvent nous motiver pour agir. Car cela a précédé l’art du transfert de savoir pur. La connaissance peut nous dire ce qui doit être fait et comment nous pouvons nous rapprocher de nos objectifs. L’impulsion à agir, cependant, est enracinée dans nos sentiments.

Harald Mann