L’événement en images
« Oui, c’est une respiration. D’ailleurs, faire de la peinture permet de respirer. »
(Pierrette Bloch à propos de son travail .)
La tache est intimement liée à la peinture. Tour à tour concurrente ou alliée de la ligne, elle est un fait esthétique aux contours ductiles que le corpus hétérogène de la double exposition des galeries Catherine Issert et Zlotowski reflète très librement. S’étendant de 1950 à aujourd’hui, celui-ci réunit des œuvres de techniques variées impliquant différents types de procédures : touche, giclée, éclaboussure, coulure, salissure, empreinte, imprégnation, ou même impression photographique. Avec la modernité et les avant-gardes, la tache a acquis un statut canonique, qui a démultiplié ses possibilités et élargi son champ d’action à toutes sortes de subjectiles.
« Renverser la tache » : cette image paradoxale, voire absurde, reprend le geste maladroit qui renverse la tasse de café, laissant des traces indésirables… Elle offre une entrée en matière directe qui convient bien à notre affaire. Et quelle affaire ! Il serait évidemment insensé de vouloir épuiser les fonctions de cet élément plastique, au cœur même de la peinture, qui se caractérise par sa matérialité, tout en étant insaisissable. La tache nous mène au plus près de l’œuvre, de sa genèse comme de son secret. En nous appuyant sur un corpus pluriel, on évoquera des procédures qui tantôt se distinguent, tantôt s’associent les unes aux autres. Quelques thèmes saillants vont nous guider dans notre déambulation : l’informe, la touche-tache (Macchiato), l’éclaboussure (Splash), l’inconscient (La tache pulsionnelle), le rythme (La tache à la ligne), La tache sans attache.
Néanmoins, en remuant la tache en plusieurs sens, en l’utilisant comme point de vue, comme œil, il semblerait qu’à travers les siècles, un trait, persistant, se dégage : la tache est liée au mouvement de la vie ou de la nature. Pour Léonard de Vinci ou Alexandre Cozens, elle met en mouvement l’imagination et stimule l’invention ; chez les grands maîtres de la touche, elle fait vibrer la représentation, insuffle de la vie, mais défie la forme ; projetée, elle capte et transmet une énergie cinétique. Sans aucun doute, Pierrette Bloch donne-t-elle un tour nouveau, léger et profond, à la tache qu’elle émancipe et fait danser sur des lignes invisibles. Ses alignements de taches, de points, de boucles, si simples, si réjouissants, offrent une vision à la fois épurée et rythmique d’un geste pictural essentiel.
Anne Bonin – Critique d’art & Commissaire d’exposition
Catalogue – Renverser la tache