Exposition
Rasah
Gautier Ferrero
L’événement en images
Poursuivant sa programmation au service d’une nouvelle scène contemporaine résolument tournée vers la peinture, la galerie Catherine Issert convie Gautier Ferrero pour une exposition personnelle à partir du 15 février. Celle-ci mettra en lumière sa production la plus récente, vouée à la couleur, dans une abstraction lumineuse laissant éclater sur la toile des compositions aussi foisonnantes que maîtrisées. Marqué par un parcours du côté de la philosophie et de l’anthropologie, passionné de spiritualités orientales, Gautier Ferrero se consacre désormais à une pratique intuitive et fait circuler dans l’espace un souffle d’énergies vitales, en un libre jeu réjouissant. Ses peintures, au centre de cette présentation, viennent dialoguer avec ses œuvres sur papier, collages, céramiques et travail du bronze, invitant à voyager au cœur d’un vaste territoire créatif.
La fluidité d’une touche d’acrylique vient répondre aux empâtements de l’huile sur la toile de jute. Des langues de bleu-noir profond défient des formes rondes aux teintes enveloppantes — rouge tomate, vert d’eau désaltérant, bleu enfantin. À l’évidence, Gautier Ferrero (né à Nice en 1983) sait se jouer des contradictions, et fait son miel des contrepoints. C’est la musicalité de la peinture qui le fascine — il confie d’ailleurs volontiers sa passion pour Paul Klee ou l’orphisme —, et ses œuvres écrivent ensemble une étonnante partition de couleurs et de matières. Il évolue dans un lâcher- prise communicatif, improvise, tout en atteignant une finesse de composition qui émeut. Le voici tel le musicien ou le joueur : sous le sceau du partage, sa liberté et son plaisir de faire se déploient avec jubilation, mais dans la maîtrise, et sans ignorer certaines règles.
Ces règles, ce sont celles de la nature, de la vie qui bat dans chaque corps, du souffle qui anime les êtres. Il faut se pencher sur son parcours pour les comprendre. D’abord formé en philosophie grecque, Gautier Ferrero se passionne ensuite pour les spiritualités orientales, jusqu’à mener des études anthropologiques sur le bouddhisme zen et la religion hindoue, en s’intéressant plus spécifiquement aux états de conscience dans la pratique du yoga. À partir de ce bagage spirituel et intellectuel, il développe une connexion toute particulière au corps, se défait de la traditionnelle séparation de la matière et de l’esprit qui façonne la vision occidentale, tend à une perception non duelle, et revient au plaisir physique de créer. Tout est fluidité, énergie : c’est une force vitale qu’il laisse advenir sur la toile, pour capturer au vol des structures colorées harmonieuses. Chamane ou sorcier, il fait circuler les formes et les couleurs, se faisant l’interprète de principes internes d’ordre et de beauté.
Si des visages affleurent à la surface de ses œuvres sur papier, lesquelles présentent de surprenantes géographies imaginaires dressées au crayon ou au fusain, ou si des figures zoomorphes émergent de ses céramiques, son travail le plus récent, qui s’épanouit dans la peinture, tend à une abstraction pure. L’abandon de tout principe figuratif laisse cependant place à une figure radicalement autre : il s’agit pour l’artiste de mettre au monde une unité organique parfaitement cohérente. Cette capacité à donner vie à des structures singulières qui imposent leur évidence se perçoit aussi bien dans son travail de la céramique que dans ses fontaines de bronze aux lignes libres et sinueuses, à mi-chemin entre l’animal et le végétal. L’eau qui y coule prolonge le dessin et traduit l’élan créatif ; son scintillement et son murmure révèlent une présence vivante et émotive, ouvrant un paysage tactile et sonore. De cette vitalité en circulation, il résulte une expérience synesthésique sans pareille. Le jeu des matières et des éléments — l’eau, la terre, le métal, ou bien encore les papiers krafts et les bouts de carton çà et là brûlés de ses collages — parle à nos mains.
On pourra deviner dans le travail de Gautier Ferrero des échos et des hommages à diverses filiations, à la croisée des âges pionniers de l’abstraction et de l’expressionnisme américain, en passant par l’Arte Povera. L’artiste se joue pourtant de ces traditions, les déjoue, émancipé, éclectique, avouant avec innocence sa fascination pour la préhistoire, le paysagisme ou les langues orientales. Seule l’énergie demeure. Elle se propage dans l’espace d’exposition, monte comme une sève, nous laissant savourer le libre jeu de nos sensations et de nos imaginations.
Elsa Hougue