MON CRAYON DE NATURE J’ignorais qui était William Henri Fox Talbot, aussi, quand j’ai eu la chance d’ouvrir un exemplaire de son livre de 1844 intitulé “My Pencil of Nature” (Mon crayon de nature) je ne m’attendais à rien d’autre qu’à un livre de dessin. Puis, en lisant la courte préface publiée dans ce livre […]
MON CRAYON DE NATURE
J’ignorais qui était William Henri Fox Talbot, aussi, quand j’ai eu la chance d’ouvrir un exemplaire de son livre de 1844 intitulé “My Pencil of Nature” (Mon crayon de nature) je ne m’attendais à rien d’autre qu’à un livre de dessin. Puis, en lisant la courte préface publiée dans ce livre que j’ai dans ma bibliothèque, j’ai lu les mots suivants : “Les planches de cet ouvrage ont été réalisée avec le plus grand soin, par des procédés entièrement optiques et chimiques. Aucune intention de les modifier de quelque manière que ce soit. Les dessins ne contiennent rien d’autre que la véritable touche du crayon de la nature”.
La véritable touche du crayon de la nature, quelle belle façon de décrire une photographie. Pour moi, c’est la vraie description de la magie de la photographie. Après cinquante année de photographie, j’ai, humblement, avec confiance et sans échec, accepté ce que l’objectif voit et me donne, sans jamais oser rêver composer avec la réalité de ce moment donné par l’obturateur, que ce soit pour un négatif argentique ou, aujourd’hui, pour le fichier original brut que mon appareil produit sur place. Être dessiné dans la vérité de l’image, c’est être dessiné au naturel.
Il se trouve que je suis un photographe qui aime dessiner, faisant des dessins de mes images, mais seulement après que la photo ait été prise. Quel idiot me direz-vous. C’est comme mettre un sous vêtement par dessus son pantalon. Mais je dessine après la photo non pas pour créer l’image mais pour la tester, pour réprimer mon impatience et ma curiosité à propos de ce qui s’est produit au moment ou elle fut prise, comme pour jeter un coup d’oeil à l’emballage d’un cadeau de Noël, tel un enfant essayant de deviner la nature du cadeau sous le sapin. Et il y a une autre plus importante raison de voir l’image plus tôt qu’en réalité. Cela à voir avec l’anticipation, l’espoir, appelez cela le désir, la possibilité que quelque chose existe avant de savoir qu’elle est vraie.
J’aime penser à mon travail de photographe comme une longue phrase sans fin où les nécessités et les tentations de redondance –utilisant les mêmes noms, adjectifs et verbes– sont maintenus au minimum. Après ces cinq décades, je continue à me demander s’il est possible de garder chaque photo essentiellement la même tout en étant entièrement différente ?
Dans un prochain livre à paraître au printemps prochain par Kehrer Verlag à Heidelberg, j’essaierai de transmettre cette continuité d’images comme le ferait l’écriture symphonique d’un compositeur essayant de maintenir des changements thématiques ensemble (pour l’inspiration, se référer à Sibelius ou à James Joyce). Pour voir l’image comme un dessin après avoir pris la photo permet à l’oeuvre d’entrer dans une sorte de purgatoire, une salle d’attente ou l’espoir peut être expérimenté. Qu’est-ce que l’appareil a vu ? Que s’est-il réellement produit ? Quelque chose sera présent pour le meilleur ou pour le pire, une reconnaissance que la vie n’est pas juste le moment, mais qu’elle est ancrée dans un passé dont chaque moment est issu.
Arno Rafael Minkkinen
Fosters Pond, 2018