Newsletter

Exhibition

Twisted

Morgan Courtois

Morgan Courtois sculpte la lisière des matières, là où siègent dans une complicité voluptueuse, l’ombre et la lumière. Il sculpte des corps, intimes et tendus. Des corps qu’il photographie dans des postures distorses avant d’en agrandir des fragments et de les traduire en imposants volumes verticaux. Ce sont des corps à la géographie abstraite, sans […]

Morgan Courtois sculpte la lisière des matières, là où siègent dans une complicité voluptueuse, l’ombre et la lumière. Il sculpte des corps, intimes et tendus. Des corps qu’il photographie dans des postures distorses avant d’en agrandir des fragments et de les traduire en imposants volumes verticaux.

Ce sont des corps à la géographie abstraite, sans début, ni fin. Les vallons et les ravins que dessinent les plis d’une aisselle ou une peau boursouflée ne suffisent pas à composer un territoire connu. Ces sculptures ne cartographient rien d’autre qu’elles-mêmes, une surface semblable à un tissu flou, souple et instable. Une légèreté littérale dans laquelle réside pourtant une forte puissance évocatrice, à la fois physique et émotionnelle.

L’artiste cherche à saisir quelque chose des ondulations intérieures du corps, ses mouvements imperceptibles. Il poursuit en cela les recherches menées par les artistes italiens du Quattrocento et Cinquecento notamment, autour de la morbidezza, qui définit la mollesse et la délicatesse dans le modelé des chairs. Une mollesse empreinte de douceur, de nonchalance gracieuse. Elle se révèle par un traitement onctueux des matières, des nuances de couleurs subtiles, une composition harmonieuse et diffuse. Au 17ème siècle, Le Bernin avait suscité quelques émois par ses représentations des corps jugées très réalistes et surtout le trouble sensuel qu’elles pouvaient provoquer auprès des spectateurs.

La vue, mais plus encore peut-être l’odorat, le sens qui serait le plus fortement lié à la mémoire émotionnelle, peuvent éveiller intensément les affects. Depuis plusieurs années, Morgan Courtois réalise des parfums qu’il diffuse à travers ses sculptures. Les fragrances sont contenues pour cette exposition dans les baumes qui recouvrent la surface des plâtres. Des macérats d’hibiscus, de rose, de mauve, de peaux de clémentine et de bleuet mélangés à de la cire. Plus qu’une valeur ornementale, les senteurs agissent directement sur l’état émotionnel des visiteurs. L’adrénaline est de ceux que l’artiste tente de faire éprouver ici. En dépit du caractère évanescent des corps représentés, il y a ainsi une coïncidence saisissante entre leur forme et ce qui la constitue, car ces sculptures suent. Elles transpirent l’excitation, la peur, le désir. Le parfum contribue à affiner le regard, il le guide dans cette exploration sensible du corps étranger.

Alors que ces sculptures révèlent à leur surface une chaleur propre à la sensualité des chairs, elles comportent deux faces reproduisant la géométrie des pilastres qui jalonnent l’ancienne église des Capucins. Elles sont un corps hybride, un monument organique, réduction d’architecture, qui surplombe le regard du visiteur. Elles font corps entre elles et avec le lieu. Elles sont le corps et son lieu.

Accrochée au mur comme des bas-reliefs tableaux, l’artiste présente, par ailleurs, une dizaine de bronzes à la cire perdue, dont les surfaces ont été agressées, avec plus ou moins de violence, par des acides. Les attaques infligées sont particulièrement remarquables alors que les tranches ont, elles, été pour la plupart épargnées. Des effets d’irisation confèrent à cette chair pourtant meurtrie, rigide, sombre, une beauté éthérée, que le bronze a figé. Le mouvement n’est plus, il s’est épuisé.

Au même moment, tournent en boucle sur un écran des centaines de photographies prises par l’artiste depuis 2016. De l’aube jusqu’au crépuscule, des images de plantes, de nus, d’ornements. Elles défilent à un rythme effréné, une dizaine par seconde. Nous les voyons à peine, elles nous hypnotisent. Elles disent que c’est fini, mais l’adrénaline que procure cette certitude les fait danser à nouveau.

Solenn Morel