L’événement en images
Vernissage le vendredi 15 octobre à 18h dans le cadre des Visiteurs du Soir
Une exposition réalisée avec le soutien de la D.R.A.C P.A.C.A, la Fédération Wallonie Bruxelles, Jet studio et Beursschouwburg (Bruxelles) et la Villa Arson (Nice).
« Nomade dans sa pratique, [Alice Pamuk] vient chercher, dans cette relation à des contextes différents, des expériences de déplacement, des conversations, des situations d’extériorité à des langues et des cultures. Son travail se nourrit de ces moments de rencontre avec un territoire, avec les hasards de la vie, avec les matériaux trouvés. Les premières semaines de sa résidence, elle marche, découvre la ville, et se pose aux terrasses de café avec un carnet pour endosser la posture de l’écrivain, décrivant les lieux, les ambiances, les mouvements qui l’entourent, cherchant à mettre en scène l’inspiration autant qu’à la trouver.[1]»
Vivant en Belgique – pays trilingue – et travaillant habituellement en anglais, j’ai essayé d’introduire de nouvelles langues dans cette exposition : le français, l’italien et le néerlandais, ainsi qu’une harmonie vocalique turque ; cet entremêlement de langues pouvant mener jusqu’à la perte de compréhension ou bien encore former de nouvelles entités sonores.
La lingua franca [2], comme l’anglais, est une langue de communication mais peut également être une langue unilatérale et imposée, comprise seulement par un petit nombre. Les œuvres présentées dans cette exposition jouent de cette dualité.
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Litanies (2021) – installation sonore multicanal
interprètes : Leila Putcuyps, Johannes Wirix-Speetjens, Anne-Guersande Ledoux, Jean-Manuel Candenot, Elodie Tisserand, Marjolein Guldentops, Elodie Tampon-lajarriette, Stella Boue
ingénieur son : Marc Doutrepont, Arthur Arsenne
enregistrements faits à : Jet studio, Beursschouwburg, Villa Arson
avec le soutien de la Fédération Wallonie Bruxelles
Il s’agit d’une installation sonore à partir d’enregistrements de voix parlée. L’idée de départ était d’avoir deux textes simultanés, un à gauche un à droite, et d’expérimenter sur ce que reçoit le cerveau, le cerveau peut-il traiter deux informations à la fois ? À partir de là j’ai gardé cette contrainte de deux signaux simultanés (deux enregistrements), qui se répartissent sur plusieurs enceintes.
Je travaille avec des acteurs et actrices, en anglais et en français, et dans d’autres langues selon les dispositions de chaque interprète. À savoir ici les langues proposées ont été d’abord l’anglais et le français, puis le néerlandais et l’italien. Selon la langue maternelle de chaque interprète et la langue employée, une étrangeté particulière est amenée et utilisée.
J’apporte des textes très courts, cut-ups à partir de littérature jeunesse, et nous les développons lors de sessions enregistrées. Je m’intéresse à la spécificité amenée par chaque interprète, types de jeu et de phrasé, et m’y adapte. Je veille que les enregistrements se déroulent le mieux possible, écoutant ce qui a été fait après chaque session et prenant des notes pour orienter les séances suivantes vers ce qui me semble le plus intéressant, en me gardant de projeter un résultat définitif, bien que la forme de l’installation finale soit déjà présente dans ma tête. Il s’agit d’une forme de pari.
Le déclencheur est de vérifier une idée et de lancer des hypothèses de travail avec lesquelles jouer. Ici il s’agit de se tourner vers un matériau, la voix parlée, et de voir comment je peux construire une proposition plastique à partir de ça, dans un espace donné.
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Yahour (2021) – texte imprimé au mur
aide logiciel: Antoine Pouille
Suivant une playlist fictive et mimétique que j’avais écrite, j’ai eu envie de m’amuser à m’éloigner plus encore d’un référent réaliste. Inventer des mots. Comment inventer des mots qui n’existent pas ? Sachant qu’il existe des milliers de langues et 26 lettres dans l’alphabet latin, je me suis baladée dans Paris recherchant les enseignes aux noms créatifs que j’ai notées dans un carnet (nailux, nutriciel, neoness…) ; je les ai ensuite découpées en syllabes que j’ai redistribuées dans un logiciel simple fait spécialement pour générer des mots. Dans une recherche de logique, j’ai ajouté une contrainte d’harmonie vocalique présente en turc.
Un des enjeux est ici d’interroger l’ex-nihilo.
Comment fais-je francophone pour inventer des mots ? Ça veut dire quoi ? Des mots pas français ? où est-ce que je cherche quand j’invente ? Dans ma tête ? Dans la rue ? En cours de route, le logiciel que j’ai fabriqué m’a donné des formes mutantes bizarres, qui rappellent la langue poétique des magasins précaires, un air de déjà-vu, que j’ai eu envie de garder.
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Whispers (2019) – pièce sonore / dialogue chuchoté
avec Douglas Park et Rino Sokol
Au départ j’ai voulu reconstituer un chuchotement singulier entendu dans une rue à Bruxelles. Ensuite, en résidence à Anvers, j’ai enregistré plusieurs conversations : des visiteurs regardant les animaux au zoo, des passants observant un navire de guerre amarré dans le port et deux hommes à la terrasse d’un café évoquant une fête à Berlin.
J’en ai extrait un texte qui sert de base pour une interprétation instantanée dans un studio son par deux acteurs, Douglas Park et Rino Sokol. Parallèlement à l’exposition à la Station cette pièce est diffusée dans un restaurant de la promenade des anglais.
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Sans ampli (2015) – vidéo
avec Gabriel Tapia et Guillaume Cazalet
caméra : Marie Pynthe
« [Alice Pamuk] filme un guitariste et un bassiste qui grattent les cordes de leur instrument et se répondent, sans prononcer mot, par le seul truchement d’une concentration guidée par l’écoute des sons. Filmés en plan serré, ces deux musiciens, que l’on imagine au vu de leurs tenues s’illustrer plutôt dans un répertoire de type métal, produisent sans ampli des sons ténus, qui contrastent avec la frénésie des mains enchaînant des improvisations.
La caméra se rapproche des instruments et des visages dont l’identité captive, mais la proximité ne nous permet pas pour autant de mieux saisir le cheminement intime et partagé menant vers la composition. [3] »
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Depuis 2016, la D.R.A.C P.A.C.A aide La Station à mettre en place des résidences temporaires pour les artistes plasticiens. La Station a choisi de proposer deux résidences d’une durée de quatre mois. Pour chacune d’entre elles, une bourse de 3500 € est versée aux artistes, leur permettant d’assurer production, transport, déplacements et per diem. Un logement en centre-ville leur est attribué ainsi qu’un atelier d’une surface de 40m2 à La Station.
[1] Mathilde Roman, « Inspirer, s’inspirer » in L’Art même n°83 (janvier-avril 2021)
[2] La lingua franca, ou langue franque, est une langue véhiculaire, c’est à dire un moyen de communication entre deux populations de langue différente. Utilisée du Moyen Âge au XIXe siècle dans le bassin méditerranéen, la lingua franca est originellement un mélange de français, d’italien et d’espagnol. Par extension, le terme désigne aujourd’hui n’importe quelle langue véhiculaire utilisée par des populations de langues maternelles différentes pour communiquer (par exemple, l’anglais dans le monde des affaires ou la communauté scientifique).
[3] Mathilde Roman, « Inspirer, s’inspirer » in op. cit.