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Journeys Into the Future Through the Sea of the Past, exposition de Nasr-eddine Bennacer

Commissariat : Sumesh Sharma et Joud Halawani Al-Tamimi   Loin de quelques-uns et parmi beaucoup d’autres, on pourrait décrire le port de Marseille par les distances avec lesquelles les gens perçoivent sa position dans leur vie. Les distances géographiques ne sont pas nécessaires lorsque les préjugés dictent l’aliénation, bien que l’amour soit souvent exprimé quand […]

Commissariat : Sumesh Sharma et Joud Halawani Al-Tamimi

SANGATTE, assemblage, (environ 200 x 30 x 4 cm) x 6, 2017

 

Loin de quelques-uns et parmi beaucoup d’autres, on pourrait décrire le port de Marseille par les distances avec lesquelles les gens perçoivent sa position dans leur vie. Les distances géographiques ne sont pas nécessaires lorsque les préjugés dictent l’aliénation, bien que l’amour soit souvent exprimé quand on parle de Marseille. Quand j’ai émigré à Aix-en-Provence une ville qui s’oppose à Marseille dans l’ethos, mais proche géographiquement, je ne parlais pas un mot de français, mais j’étais très attiré par les formes de rap populaire qui se chantaient dans un créole arabe, Français et Rom. L’un d’entre eux a chanté un bateau bien-aimé qui allait les sortir de la misère. C’était en 2006. Reda Taliani et le groupe 113 chantaient une réalité que je ne connaissais pas et que je ne comprendrais que lorsque je vivrais dans les foyers d’étudiants avec des amis originaires d’Afrique. Des artistes français, d’Algérie, du Mali et de Guadeloupe ont chanté la chanson filmée autour de la corniche de Marseille. Sur un ton de rêverie nihiliste, ils racontent leur vie loin de leurs terres. C’est alors que j’ai pris conscience de la proximité de Marseille dans l’esprit de millions de personnes qui attendaient leur départ vers le port, atteignant une ville familière dans un pays qui refusait l’appartenance raciale, linguistique, alimentaire et religieuse. Cette Babel de la décolonisation arrête le rythme du temps et l’idée de l’espace pour défier son colonisateur.

Les gens viennent parler entre eux malgré leurs nombreuses langues. La responsabilité d’acquérir une langue étrangère revient souvent au locuteur le plus défavorisé ; défavorisé en termes de droits politiques, matériels et sociaux. La familiarité avec une langue étrangère ne résulte pas seulement du processus d’agression et de domination étrangère, mais d’une poursuite acharnée du changement, en particulier de sa situation matérielle. Pourquoi les artistes d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie ont-ils acquis les compétences en peinture, perfectionnées dans les écoles du classicisme européen ? Même la peinture orientaliste du colon adhérait au besoin de parler, d’enregistrer une histoire, d’imaginer un passé, et de trouver une vocation. La pratique artistique en tant que vocation est souvent un exercice non répertorié de l’histoire de l’art, attribuant ainsi à «l’Acte artistique» des préoccupations plus métaphysiques, esthétiques, intellectuelles et politiques. Devrions-nous reconnaître les préoccupations rudimentaires d’un artiste qui reflètent le quotidien ?

Les artistes brillent dans la réalisation habile quand ils sont au travail ; le dessin est un de ces exercices. Sa radicalité se réalise plus essentiellement aujourd’hui quand on voit son utilité la moins nécessaire pour produire des images. Nasr-eddine Bennacer frotte du pastel noir sur du papier déchiré. Il est un artiste autodidacte, avec une formation scientifique, apprenant d’un vieux couple pour restaurer les œuvres sur papier. Cela fait plus de deux décennies qu’il vit à Paris et est intervenu sur des dessins de l’époque de la Renaissance et d’artistes qui trouvent dans l’acte de dessiner un défi mais le voient comme nécessaire du point de vue d’un artiste accompli. Nasr-eddine Bennacer ne voit aucun besoin d’une telle prétention mais exécute avec précision les demandes des clients. Entre ces dessins, exécutés par des maîtres et d’autres exécutés par lui-même tout en étant dictés par un autre, il y a infiltration entre l’imagination et la pure visualité. Cela signifie la transformation des images en échelles et nuances de dessin. Par conséquent, lorsqu’il transforme à première vue une grande feuille de papier recouverte de pastel noir et quelques frottages blancs pour révéler la blancheur du papier, il s’agit en réalité d’une image infrarouge de migrants qui traversent la frontière mexicaine avec les États-Unis. mexicaine avec les États-Unis. Il les appelle «Lucioles». Souvent, quand on conduit dans l’obscurité du paysage, les lucioles accompagnent le regard depuis les fenêtres des voitures pendant que nous traversons les schémas de la terre ; un schéma qui n’a pas été imaginé par la nature constitue nos frontières.

Ces migrants traversant le paysage aride et les buissons traversent une frontière sur une terre qui était autrefois la leur. Un mur doit être construit à travers cette terre afin de décourager ces gens. Les directions que les gens prennent sont comme leurs pensées, justifiées par des besoins variés. Les lucioles volent vers des morts éventuelles, électrifiées par la chaleur des ampoules et des courants lâches.

Le pouvoir se distingue toujours sans avoir besoin de justifier son existence. Il arrive dans des réflexions de besoin qui peuvent également être, métaphoriquement, considérées comme des réflexions visuelles. Les dessins de Nasr-eddine Bennacer évoluent vers l’abstraction, ressemblant parfois aux flammes qui sortent de la gueule des jongleurs et des amuseurs, d’où jaillissent de l’essence qui devient invisible par le feu. Leurs morts, déportations et anéantissement en tant qu’étranger sont également chorégraphiés par un artiste qui justifie sa purge sur l’économie et la race – camouflant la politique du pétrole avec le pouvoir. Le pétrole qui coule sous les plaines du Texas apporte la misère à la fois aux États-Unis et au Mexique dans les retombées directes d’un effondrement des relations humaines. Les homicides, les fusillades dans les écoles, les cartels de la drogue et les guerres en cours ont des liens similaires avec le pétrole, tout comme le réchauffement de la planète, mais sont rejetés comme de simples actes d’humains agissant seuls.

Un autre ensemble de dessins «le Hashd» représente une foule d’égaux imaginés égaux devant Dieu. Un soir, Nasr-eddine Bennacer regarda à la télévision une chaîne qui diffusait des scènes en direct de La Mecque. Un essaim d’humains se déplaçait autour de la Kaaba. Il a enregistré les images qui s’éloignaient de l’expérience et qui étaient maintenant impressionnantes sous l’objectif d’une caméra et à la télévision d’une chambre d’hôtel. Les gens se déplaçaient dans le sens inverse des aiguilles d’une montre vers les directions des étoiles. La mobilisation de millions de personnes à travers les races et les langues pour la cause de Dieu forme une homogénéité picturale qui au fusain, se transforme en abstraction animée. Quand on voit les dessins à grande échelle, on voit cette matière noire appliquée et effacée sur le papier. Seuls ceux qui ont vu ce rituel à La Mecque peuvent se représenter les formes avec un léger changement entre la réalité et le pictural. Une foule se révèle. Ici, nous voyons le génie de l’artiste dans le dessin, une compétence acquise grâce à la capacité d’observation fine. Dessiner anime intrinsèquement. Sa faculté d’animation est aussi importante que son rôle spontané. La spontanéité arrive avec des images minutieusement dessinées qui se mettent ensuite en mouvement. Les gens sont désireux d’observer le mouvement dans les peintures de la Renaissance par exemple, car il révèle un sort magique, ce qui donne à l’artiste le pouvoir de Dieu de créer et de faire des mirages.

En tant que défenseur de l’environnement, comment Nasr-eddine Bennacer élimine-t-il la détérioration, l’ivraie et les taches ? Le changement de perception est nécessaire, pas sa restauration. Avoir étudié l’art à travers l’approche d’une vocation permet d’acquérir des compétences d’observation qui reposent sur la patience.

Nasr-eddine Bennacer a récemment testé ses gènes. Les résultats ont montré qu’il avait une population de référence en Sardaigne. Peut-être ses ancêtres avaient-ils atteint l’Algérie depuis la Sardaigne comme des pirates, ou des nobles renégats, ou bien il s’agissait peut-être d’une ascendance matrilinéaire provenant de femmes kidnappées souvent ramenées par des razzias. Nasr-eddine lui, s’identifie comme Kabyle, un groupe berbère originaire d’Afrique du Nord. Il est né en 1967 et a grandi à Alger. Un sens de l’universalisme lui est cher, le cherchant comme un héritage qu’il veut laisser à ses enfants.

Sculpté en marbre blanc pur de Carrare, un gilet de sauvetage, qu’on voit souvent jonché sur les plages de Grèce et du sud de l’Italie. Exécutée avec la précision d’un sculpteur romain, la veste n’est pas une simple représentation de la catastrophe humaine que nous voyons dans la Mer Méditerranée cimetière de nombreuses vies courageuses. Il ne s’agit pas non plus d’un ad hoc politique pour perpétuer une carrière artistique. Au contraire, c’est un reflet de compétence et de réalité. Des millions de migrants s’identifient à ceux qui bravent les périls de la mer pour trouver des fortunes en Europe, que nous voyons entrer dans une dépression économique perpétuelle. Ayant grandi dans une Algérie naissante en termes de République, où l’euphorie de l’indépendance avait coûté la vie à beaucoup de gens, Nasr-eddine Bennacer ne prit pas parti pour le gouvernement révolutionnaire ou le révolutionnaire désireux de renverser le gouvernement. Il a cherché une évasion qui lui permettrait des liber- tés individuelles. Il n’exprime aucune excuse mais raisonne plutôt les décisions des amis qui ont rejoint l’armée ou ont décidé de leur sort avec des hommes considérés comme des terroristes dans leur opposition à l’état.

La fascination de Nasr-eddine Bennacer pour sa généalogie ne vient pas de son besoin de se glorifier d’un passé. Cela vient de la douleur profonde que le patriarcat inflige aux relations intimes. Des assemblages de vidéos que l’on regarde à travers des boîtes, des consoles de caméra et des visionneuses stéréoscopiques anciennes permettent une certaine intimité avec l’artiste. Vous voyez soudainement ses pieds nus marcher sur le sable au gré des vagues, une mallette qui contient des photo- graphies, des lettres et des effets personnels dont il a hérité. Nasr-eddine Bennacer danse dans une robe blanche appartenant aux derviches et aux vieillards. Il chante en arabe un verset qu’il a composé qui détaille la douleur de ne pas connaître son père. Son père déstabilisé par la colonisation et qui servit la guerre en Indochine. À son retour en Algérie, il était devenu un homme dur en guerre avec les autres . Son silence malheureux chassa le jeune Nasr-eddine qui trouva du réconfort chez son grand-père. Bien qu’il n’ait plus aucun souvenir de son enfance, il garde un vague souvenir de sa main dans celle de son grand-père qui décéda plus tard dans un accident de la route. Personne ne dit jamais à l’enfant qu’il était où il avait disparu.

L’Algérie dans les années de troubles qui ont suivi a été marquée par des disparitions qui se sont transformées en douleurs inimaginables et non écrites, que Nasr-eddine Bennacer exprime à travers un assemblage d’objets, d’images en mouvement et de vidéos qui forment son spectacle solo. L’artiste installe un assemblage de photos en noir et blanc d’Alger, qui pourrait même représenter Marseille ou être attribué à Alger en utilisant les photos d’une autre ville sur la côte. Cette pièce montre la mémoire d’un homme qui reflète dans la nostalgie et la douleur, une certaine saudade. C’est avec le coeur lourd qu’il partit pour rejoindre Paris, désireux de se trouver lui-même. Il porte la robe que son père a ramenée de sa visite au Hajj à la fin de sa vie. La robe est un souvenir de l’ homme qui l’a engendré, mais avec qui il n’a aucun souvenir. Lors de sa dernière visite à Alger, son frère a remis à Nasr-eddine ces effets qui étaient autrefois les souvenirs d’un voyage physique et spirituel. La matérialité prend souvent la dimension de l’émotion quand on s’y attend le moins; ici, Nasr-eddine nous ouvre cette intimité à travers une exposition.

Au musée de la Méditerranée, proche du Vieux Port et du Fort de Marseille, il existe de multiples cartes dessinées à l’époque médiévale par les marins arabes. Les cartes de la Méditerranée et de l’océan Indien sont toutes les deux cylindriques comme si elles indiquaient seulement la direction et non la distance. Le regard a été construit sur la base de l’aliénation de la civilisation. Les cartes sont souvent des documents que Nasr-eddine Bennacer restaure.

Il lithographie des versets et des métaphores sur des cartes anciennes qu’il considère parfois comme ayant besoin d’une phrase pour décoder les inférences géopolitiques actuelles. La carte de l’Algérie est commentée avec l’ERREUR 404 – le message qui apparaît lorsqu’une page ou un site Web a expiré ou n’est plus utilisé. Les mandats français et britanniques pour l’Asie de l’Ouest qui causent encore le besoin de frontières et de guerres au Levant sont effacés par l’expression qui évoque la disparition de la carte. Effacer l’ancienneté d’une carte en écrivant dessus avec de la peinture permet le déni de l’instrument colonial qui notifie la carte à conquérir. Napoléon a créé un inventaire complet de l’Egypte, en y arrivant en tant que gardien, en enregistrant tout ce qui était disponible pour être exploité et transporté. Il est venu avec des artistes, des menuisiers et des sculpteurs, permettant l’établissement de l’égyptologie en tant que sujet. Le rôle de l’artiste dans son espace personnel exploitant les vulnérabilités inhérentes à la mémoire peut être une tentative de renverser le rôle politique d’un sujet colonial. L’aborder à travers une exposition dans une ville basée sur le syncrétisme de l’idéologie, du langage, de la physicalité et de la nature est un début essentiel. Marseille modère le débat à travers sa mer. La mer apporte des pensées, des peuples et des histoires qui viennent converser à travers l’amitié et la coercition. Cet essai écrit à l’autre bout d’une grande carte des réseaux maritimes, à Bombay, imagine une arène vernaculaire d’images qui témoignent des points communs de l’existence humaine que Nasr-eddine Bennacer traduit pour nous à travers la circumambulation de sa vie unique. Une rame en tête nous éclaire avec l’idée du mouvement, qui est une constante de l’existence humaine.

Sumesh Sharma Bombay 2017

 

Erreur 404, 2016, lithographie, 61 x 50cm

 

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les penseurs et universitaires américains et européens envisagèrent un ordre mondial d’après-guerre défini par le mondialisme naissant. L’interdépendance culturelle, économique et sociale était considérée comme caractéristique de l’époque à venir. Près d’un demi-siècle plus tard, une capitale mondialisée a provoqué des conflits raciaux, ethniques et religieux incessants. Il a stimulé une politique identitaire qui se nourrit à la fois de préjugés anciens et nouveaux, vulnérables à l’idée sanglante du nationalisme moderne. Les questions d’immigration et de sécurité frontalière dominent le discours politique actuel, et le moment global actuel est incarné par l’appel retentissant à construire des murs. Le Brexit, la crise des réfugiés et la montée du populisme et des groupes de droite aux États-Unis, en Europe et ailleurs ne sont que des rappels rafraîchissants et brûlants.

Les voyages vers l’avenir à travers la mer du passé est la réponse de l’artiste Nasr-eddine Bennacer à l’instant global actuel. Rassemblant installations, peintures, vidéos et photographies, l’exposition explore les notions d’identité et de frontières par rapport à la géopolitique et à la violence, mais aussi par rapport à la psyché individuelle. À l’heure où la division l’emporte sur la mobilisation et où les conflits et les préjugés sont omniprésents, cette exposition présente une enquête pertinente et nécessaire sur la politique de l’ordre néolibéral, même si elle est le fruit d’un voyage personnel et intime.

Joud Halawani Al-Tamimi

 

AUTODAFE, technique mixte sur papier Japon 237 x 160 cm, 2017