Mostre
Black Rain – Marie-Eve Mestre
« Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison. » Paracelse Grande ordonnatrice des dérives humaines ou sociétales, pourvoyeuse de mythologies modernes, Marie-Eve Mestre se fait discrète, en retrait. Solitude nécessaire aux opérations spagyriques en bordure des futaies, dans son atelier/ laboratoire. A la […]
« Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison. » Paracelse
Grande ordonnatrice des dérives humaines ou sociétales, pourvoyeuse de mythologies modernes, Marie-Eve Mestre se fait discrète, en retrait. Solitude nécessaire aux opérations spagyriques en bordure des futaies, dans son atelier/ laboratoire. A la manière du Docteur Jekyll, ou Frankenstein ? Sa pratique de l’art n’est pas sans renvoyer à ces scientistes exaltés de l’ère victorienne, légendaires pour leurs investigations occultes aux confins de l’âme humaine, de la morale et de la modernité.
La quête créative de Marie-Eve Mestre ne peut se concevoir sans aborder bon nombre de ces paramétrages (rationnels comme irrationnels) qui font qu’une société se définit aussi bien par ses limites que par ses aptitudes à embrasser l’humain. L’artiste qui aime à dire « que l’on reconnaît le tapis à ses franges », explore dans ses travaux, les excès contre-nature et dysfonctionnements, n’invoquant in fine l’aliénation ou la dystopie, que pour recentrer sur la condition humaine. Ne nous y leurrons pas, malgré la noirceur du trait, guère de place ici pour l’apitoiement, l’auto flagellation ou le catastrophisme ! Ce rapport parfois glaçant est toujours alimenté par la flamme de cette artiste sensible aux flux du vivant comme aux résurgences plastiques, historiques, littéraires, cinématographiques.
Si l’on devait malgré tout, qualifier le travail de Marie-Eve, on pourrait l’inviter sans faute de goût, au banquet du Romantisme noir, si l’on considère que l’appellation d’origine brasse large entre Baudelaire, Poe et Huysmans, entre l’occulte, l’esprit décadent et les paradis artificiels. Marie-Eve Mestre ne fait pas de quartier, mais ne prend jamais d’otage, affichant dans ses visions les plus obscures ou engagées une salutaire distanciation, voire une forme de dandysme, du pied-bot de Byron au pied-de-nez de Jarry via l’entarteur Noel Godin, scandaleux pâtissier belge qu’elle côtoya à ses débuts…
L’artiste née à Marseille, localisée dès son adolescence en Côte d’azur, a fréquenté les bancs d’une faculté de sémantique et de sémiologie, pratiqué le tir à la carabine, le collage, publié des précis sur le bon usage des poisons. On l’a recherchée pour enlèvement et voie de fait sur la personne de la petite Martine, suspectée de travailler sur des pièges de jardin. Un coup de crayon leste et quelques affinités avec des élèves de la Villa Arson (dont Bruno Pelassy), l’entraînent sur la pente. Ses lectures, son goût des marges et de l’ésotérisme, l’oriente vers la magie, l’alchimie, la mythologie en même temps que vers les subcultures ou le rock (elle réalisa un décor pour le concert de I Monster au Grimaldi Forum). « J’aime les grands auteurs comme les livres pourris » explique cet esprit curieux qui dévore les essais scientifiques comme la SF, le cinéma d’auteur comme le cinéma underground ou Bis… Marie-Eve Mestre plonge dans le grand bain du gai savoir et de la culture border line. La Comtesse Bathory barbotait bien dans du sang de vierges !
Son travail personnel qui débuta avec l’œuvre papier (dessins, collages, sérigraphie) s’est ramifié à d’autres disciplines : « Le collage c’est jouissif en quelques secondes on peut faire basculer irrémédiablement le sens d’une image !». Et elle s’y emploi avec un onirisme tranchant. Le parfum sulfureux de Dada, flotte dans l’antichambre de ces manipulations. Avec le portrait « Alice », la plasticienne brouille la source. Perd la trace ! Photo/Dessin : une technique mixte qui lui permettra de créer des effets de matière qui une fois arrachée, laisse une trame sur laquelle apparaît le spectre d’une vénéneuse lolita. « Les ligatures magiques », un projet présenté au MAMCO de Genève en 2000 exploraient ses affinités avec les plantes toxiques et les élixirs fâcheux pour notre engeance. Notre pythie profilée Barbara Steele mijote alors des recettes de poisons dont la formulation à l’humour corrosif promet les affections les plus réjouissantes comme des modifications substantielles du comportement. Ce goût pour les liaisons dangereuses, le surnaturel, l’amena bientôt à des recherches sur l’hybridation végétalo-humaine. Dans la trace de Jérôme Bosch ? Entre pandémie à la Cronenberg et mutations tendance « Body snatchers », dressant des ponts flottant entre biologie et technologies appliquées, Marie-Eve Mestre traque la chimère sous la faille humaine et temporelle : « J’ai réalisé des gels nutritifs, des plateaux repas improbables en paraffine avec des inclusions comme une nourriture encore inconnue attendant d’être réchauffée par un feu encore hors de notre portée »
Mais en attendant l’an 3000 et que des archéologues de demain retrouvent nos vestiges d’aujourd’hui à peine créés déjà obsolètes, Dame Mestre fait monter la ciguë dans la cornue, renforce son empreinte mystique et digitale sur le temps présent. Elle a présenté quelqu’une de ses manipulations à la Galerie Le 22 lors d’expositions collectives. Elle y revient en décembre pour une exposition personnelle.
Olivier Marro
► Evènement durant l’exposition :
Lancement de la revue TALWEG 04, le jeudi 15 décembre à 19h00, en présence de Marianne Mispelaëre, artiste et co-fondatrice de Pétrole éditions.
Sur une invitation de Claire Migraine / Thankyouforcoming