L’événement en images
« Océan sentimental » est un paysage métaphorique en quelque sorte. Voici ce que vous propose de découvrir l’artiste Vidya Gastaldon :
Océan sentimental
Vidya Gastaldon
Océan sentimental est un paysage métaphorique. Les ciels, les océans, les arbres, les herbes, les roches, que Vidya Gastaldon peint et qu’elle dote le plus souvent d’yeux ainsi que de bouches, semblent incarnés, comme s’ils pouvaient traduire ou plutôt communiquer avec quelques mémoires humaines.
L’artiste envisage le monde du vivant comme un vaste corps à l’intérieur duquel les énergies circulent. Elle n’oppose pas le dedans au dehors, le microscopique au macroscopique et bouleverse dans ses représentations l’organisation et l’échelle des éléments. Ainsi le centre de la terre peut surplomber une constellation de fleurs. Elle réinvente le monde, un monde où le rêve, la pensée méditative, dicte l’ordre des choses, rend visible tout ce qui les sous-tend. Sa peinture, indissociable de sa pratique du yoga cachemire, est profondément imprégnée de cet état de conscience, cette attention à tout ce qui constitue les êtres et leur environnement, ces flux invisibles qui nous soulèvent, nous éveillent à des forces communes.
Dès lors, Vidya Gastaldon ne représente pas ses sujets seuls, mais les fait fusionner les uns avec les autres. Ils transportent avec eux, en eux les esprits de ce qui les entourent. Dans sa série de portraits verts, les visages de femmes, d’animaux ne font qu’un avec des herbes aussi nerveuses et élancées que les flammes d’un feu nourri par le vent.
Alors que l’équilibre des forces de la terre est en péril, un trouble lié au changement du milieu habité peut se manifester, la solastalgie. Car nous n’habitons pas qu’un milieu, s’il change, nous changeons avec lui, nous le faisons autant qu’il nous fait. Animée par cette pensée, Vidya Gastaldon représente les humains non comme maîtres de leur environnement, mais toujours comme des créatures hybrides faisant corps avec celui-ci. Elle ne distingue pas la forme du fond, car son véritable sujet est la coexistence de ces deux entités.
L’artiste ne pouvait ainsi pas s’abstraire de l’histoire des Capucins et notamment de son passé en tant qu’église, pour imaginer Océan sentimental. Elle a choisi de réinterpréter certains principes de la géométrie sacrée, qui repose sur la répétition de formes minimales structurant le monde macroscopique comme microscopique. Outre ses peintures figuratives, elle a réalisé 14 rosaces en bois, comme autant de stations de la Passion du Christ. Installées à même le sol, elles jalonnent en ligne droite l’ancienne nef. La référence religieuse s’arrête là, parce que Vidya fait d’abord rencontrer des altérités, sans qu’une ne vienne surplomber les autres. Elle emprunte des symboles et des motifs autant au christianisme, l’hindouisme, qu’aux croyances païennes, au psychédélisme, à la peinture spirite qu’au minimalisme.
Son abstraction est impure, elle puise dans les formes de la nature, l’essence même de ces formes, par une simplification radicale. On reconnaît d’ailleurs aisément une fleur sur la première rosace. Vidya Gastaldon lève le voile sur les passages, les glissements, qu’opère sa peinture. Elle n’est jamais à un seul endroit. Aussi, l’association de ces formes élémentaires, renvoyant aux jeux de construction pour enfants, de ces couleurs primaires, correspondant à des points de chakras (vert pour le cœur, bleu pour la gorge par exemple), compose une partition qui introduit l’idée d’un langage premier commun, non assujetti à un territoire.
Un film d’animation, réunissant les différents motifs de rosaces, prolonge l’exposition par une expérience hypnotique. Le rythme frénétique d’apparition des images, leur persistance rétinienne, associés à une musique envoûtante composée par Alexandre Joly, participe à réveiller des émotions autant physiques qu’esthétiques. C’est dans cette alliance des énergies du corps et de l’esprit, du dedans et du dehors, cet endroit qui nous révèlerait à nous-mêmes et aux autres, que Vidya Gastaldon nous invite.
Solenn Morel
Image de Une : Healing object, Oeuvre de Vidya Gastaldon © DR