Exposition
Le pas de l’embusqué – Eléonore Cheneau, Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, Ronan Le Creurer, Josselin Vidalenc
Commissariat : Cécilia Becanovic et Solenn Morel Le pas de l’embusqué, c’est avant tout le titre du très émouvant dessin réalisé en 1916 par Guillaume Apollinaire. Sur cette aquarelle d’une élégance folle, on voit le poète en habit militaire occupé à effectuer un large pas sur le côté, comme on bondit par surprise hors du bosquet […]
Commissariat : Cécilia Becanovic et Solenn Morel

Image extraite du film La France de Serge Bozon, 2007. Copyright : Carole Bethuel et Soazig Petit
Le pas de l’embusqué, c’est avant tout le titre du très émouvant dessin réalisé en 1916 par Guillaume Apollinaire. Sur cette aquarelle d’une élégance folle, on voit le poète en habit militaire occupé à effectuer un large pas sur le côté, comme on bondit par surprise hors du bosquet où caché, on attendait de longues heures durant que quelque chose se passe et que se matérialise l’ennemi.
Ce projet rassemble deux commissaires (Cécilia Becanovic et Solenn Morel) et cinq artistes (Eléonore Cheneau, Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, Ronan Le Creurer, Josselin Vidalenc) et peut être perçu comme une attitude face à la vie : celle qu’une troupe de soldats choisirait pour approcher la nature dans un esprit de retrait ou de désertion. Le danger ou le trouble, loin de provoquer une violente rupture ou un décalage audacieux, renforceraient cet état d’immobilité phénoménale emprunté aux fascinantes stratégies de défense animales, que le monde cultivé évite ou copie.
Imaginons donc un énigmatique groupe, proche de celui que nous montre le film La France réalisé par Serge Bozon, qui traverserait le paysage, adoptant une position de défense sans querelle, un effacement mêlé de douceur et de volupté. Le dialogue qui suit fictionnalise nos échanges par un système de réécriture et met l’accent sur un aspect du processus de travail. Ensemble, même habitués les uns aux autres, il nous semblait que nous pouvions chacun être là sans être vus, parler sans donner à voir et surtout assumer une nature changeante comme la gestation invisible et infinie de la pierre. Nous étions prêts à faire le pas de côté le plus vif et le plus inattendu pour révéler une fable qui soit comme une matière affective un peu fragile, un peu poreuse ; une exposition sous l’influence du grand air, avec sa nécessaire part de romanesque et d’aventure.
Héliodore : Béryl m’a envoyé l’autre jour deux images d’un mystérieux personnage en partie dissimulé entre deux colonnes, visibles sur le flanc gauche de la cathédrale Notre-Dame d’Embrun. J’en parle ici, car il me semble que chacun de vous l’a remarqué et lui a accordé de l’attention. Ce personnage est-il contraint de se cacher par une volonté autre que la sienne ? Toujours est-il que sa situation reflète une métamorphose que la nature maîtrise parfaitement, tandis que l’être humain la désire et l’épouse de mille façons. Il sait en faisant cela qu’il défie sa propre nature et la contredit clairement.
Aventurine : Ce personnage est l’image même du retrait, mais un retrait dynamique produit par un état de vigilance élevé associé à une disponibilité totale. Il peut ainsi saisir toute opportunité si elle se présente. Oui, c’est l’inverse de la passivité que tu évoquais Héliodore, dans notre précédent échange. J’imagine ainsi Le pas de l’embusqué comme une transe florale, une promesse de mutation infinie, un état qui permet d’être ici et partout à la fois.
Béryl : J’ai vu des araignées de mer qui se recouvrent d’algues, de coquillages et de pierres en piochant ces éléments dans leur environnement immédiat. Le pas de l’embusqué, c’est en effet une continuité visible/visuelle, une histoire de corps humains et autres qui défie l’appartenance à un seul règne… je m’appelle aussi FTTPM et tout ce qui m’entoure a une vie propre. Réveiller l’âme des choses permet de profiter de leurs bienfaits… je n’en finis pas d’exister.
Brunelle et Tourmaline : Nous ressentons souvent une sorte de mouvement continuel qui nous empêche de poser nos valises, nos esprits et donc de nous concentrer. Il nous apparaît depuis quelques temps que produire des œuvres est un moyen de mettre en mouvement des éléments, de les faire agir. Nous avons besoin de cette production pour exister, de la même façon que ce personnage a besoin de ces deux colonnes. La sculpture pourrait ainsi être considérée comme un témoin. Et le masque à deux têtes, sur lequel nous travaillons, serait notre camouflage. L’une fait un pas, l’autre suit : une danse qui résume parfaitement le travail en duo.
Zultanite : Pour ma part, je n’avais pas remarqué l’embusqué de la cathédrale, mais je l’aime aussi. J’ai longtemps pré-senti (imaginé) qu’il y avait bien là un mystère dans la signification du mot voyant, dans cette idée de voir et être vu. Je me figure des lignes tirées de l’intérieur vers l’extérieur et inversement. J’essaie d’en faire quelque chose sans éclat, des dessins qui ne percent pas le mystère, mais marquent l’évidence d’une telle opacité.
Almaze : J’ai commencé quelques tests avec des combinaisons de camouflage (ghillie suit). Ce sont des modèles de survêtements à franges qui, à l’image des « lambeaux de peau » de la rascasse, créent un dégradé de couleurs rendant diffuse et perméable la séparation franche entre le corps de l’animal et le décor qui l’entoure. L’embusqué pour moi, c’est celui qui ne pense plus à la ville et semble avoir toujours été là, planqué dans les bosquets. Depuis combien de temps je l’imagine allongé au pied d’un orme ? De trois minutes à trois saisons, ni lui, ni moi ne saurions le dire. Ce qui est notable, c’est que le feuillage du bois a changé plusieurs fois de ramures. Le vert des feuilles comme celui de la veste de l’embusqué viré au brun, tellement foncé par endroits qu’on l’eut dit brûlé, avec parfois des éclats cassis mouillé. Cette gamme sourde de verts qui revenaient à la terre, y retournaient calmement, inquiétaient légèrement l’embusqué…