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Exposition

Emma Picard, DEBORAH FOREVER / Chap 2

  Pour le second volet de son exposition-résidence à l’hôtel Windsor à Nice, Emma Picard présente son travail et celui de ses 500 000 assistantes-abeilles, un double jeu de dessins cirés, tantôt laissés tels quels comme échantillons témoins, tantôt sur-alvéolés par les abeilles. Un bourdonnant va-et-vient, et une reformulation du Principe d’Equivalence de Robert Filliou: Bien […]

 

Pour le second volet de son exposition-résidence à l’hôtel Windsor à Nice, Emma Picard présente son travail et celui de ses 500 000 assistantes-abeilles, un double jeu de dessins cirés, tantôt laissés tels quels comme échantillons témoins, tantôt sur-alvéolés par les abeilles. Un bourdonnant va-et-vient, et une reformulation du Principe d’Equivalence de Robert Filliou: Bien Fait  ≡ Mal Fait  ≡ Pas Fait

A comme Aléa

Il semble évident que les media qui allaient pouvoir être introduits dans les ruches se devaient d’être non toxiques pour les abeilles. Donc un papier peu traité chimiquement, peint avec une matière naturelle, puis ciré à la cire d’abeilles.

Pour autant, Emma Picard n’a pas choisi thé, café, œuf, lait, dont certains ont une place dans l’histoire de l’art (tempera, caséine), mais le jus de citron. Et cela pour rajouter une couche d’aléa à un travail qui en comporte déjà beaucoup.

En effet, à une époque où domine la certitude de l’image, il lui plaît que le résultat finalement désirable soit le fruit d’une sélection quasi-Darwinienne.

D’abord peindre au jus de citron blanc sur blanc, superposant sans les voir des couches de jus de citron plus ou moins nombreuses selon le degré de teinte souhaité. Ensuite plonger dans la cire d’abeilles liquide pour cirer le papier mais aussi pour en révéler le dessin : la réaction papier-citron-cire à la cuisson est soumise à un autre risque. Enfin s’ajoute l’aléa de la bonne volonté des abeilles de bâtir sur le dessin, d’en conserver l’intégrité ou de le déchirer. Laquelle bonne volonté est lui-même fonction de l’aléa météorologique : les abeilles ne bâtissent pas si le temps est trop froid et humide, tant qu’elles ne croient pas à l’été.

C comme Collaboration

Dans la durée, Emma Picard définit son travail artistique comme de la « sculpture collaborative ». Elle a collaboré avec des artisanes marocaines, avec des réfugiées syriennes, avec des non-voyants. Avec Déborah Forever commence une collaboration avec les abeilles. Avec humour, on pourrait dire d’Emma qu’elle est une des artistes qui a le plus d’assistantes au monde (environ 50000 par ruche).

D comme Deborah

Deborah en hébreu signifie littéralement « abeille », c’est une des seules langues avec le sanskrit dans laquelle existe le prénom « Abeille » (en sanskrit, c’est le prénom masculin «Madhurak »).

E comme Equivalence

Robert Filliou est un artiste dont l’œuvre importe particulièrement à Emma Picard. En 1969 il a émis le postulat d’un Principe d’Equivalence en art : les trois possibilités Pas Fait, Mal Fait et Bien Fait sont équivalentes, postulat qui brouille l’opposition entre « œuvres d’art – artefacts » et « simples choses réelles »*

Le projet Deborah Forever reformule un principe d’équivalence en proposant un va-et-vient avec les abeilles, les cadres pouvant être pas, mal ou bien faits par Emma, et de la même manière par les abeilles sur le travail d’Emma.

*Arthur Danto, La Transfiguration du banal, 1989, Seuil

F comme Figuration

La figuration des lavis au jus de citron n’est pas tant une recherche de constitution d’image qu’une opposition avec l’abstraction géométrique des alvéoles d’abeilles. (cf. Sculpture)

R comme Reproduction

Toute l’organisation de la vie des abeilles, ce que nous admirons comme leur « travail », la construction des alvéoles et la production de miel, tout ne tend que vers un seul but, la reproduction de l’espèce, la survie de la colonie.

De ce point de vue-là, ce travail de sculpture collaborative Emma+Abeilles n’est pas plus absurde que celui qui consiste à élever des abeilles pour leur prendre leur stock de miel.

Les œuvres 4’46 douche comprise et Extase renvoient dos à dos la copulation et l’érotisme buccal, sachant que la cire produite par les abeilles est façonnée par la bouche.

P comme Protocole

Chaque dessin est fait par l’artiste 3 fois : le premier est juste ciré (Bien fait Emma/ Pas fait abeilles), 2 autres sont cirés à la cire gaufrée en prévision de travail des abeilles. Sur les 2 l’artiste espère qu’au moins un sera bâti par les abeilles (Bien fait Emma/ Bien fait abeilles) et le second sera plus ou moins « réussi » par les abeilles (Bien fait Emma/ Pas ou Mal fait abeilles). Dans l’hypothèse où aucun des 2 dessins ne seraient réussis par les abeilles, Emma recommence la production du dessin jusqu’au succès.

S comme Sculpture

Indéniablement les pièces de Deborah Forever sont des sculptures : sculpture des alvéoles sur le dessin, cadres de hausse constitutifs des œuvres et non pas encadrement de celles-ci. Pour autant c’est le dessin qui est traité « en masse » et ce sont les alvéoles qui en reconstruisent le « linéaire ».